"L'amour" est un livre de Marguerite Duras écrit en 1971. Il s'agit d'un texte étrange, racontant de façon peu précise les relations entre trois personnages.
Etude du livre
Résumé
L'action se déroule dans la station balnéaire de S. Thala, le long d'une plage déserte. Le lecteur suit trois personnages étranges, une femme et deux hommes, dont on ignore quasiment tout, le passé, le présent, et également le futur. Les interactions entre eux sont peu nombreuses, au point que l'on se demande si il ne s'agit de malades mentaux, ne s'exprimant que par des petits signes, des phrases brèves. A moins qu'ils n'aient perdu la mémoire. Où alors, il ne s'agit que de l'imagination de cette femme, dont le regard vers la mer porte parfois à croire qu'elle a aimé ici l'un des deux hommes autrefois, mais que c'était il y a quelques années. Entre-temps elle a eu deux enfants, a été infidèle, et elle a vécu des drames, comme tout le monde. Mais ces drames sont à rapprocher d'un terrible incendie enfoui dans sa mémoire.
Difficile de résumer ce livre tellement l'action est inexistante ou peu significative.
Commentaire
La force de ce roman est de faire perdre le lecteur dans les relations entre les personnages. Pour ça, Marguerite Duras utilise un style concis, elle est économe dans la description des échanges, et manie le prénom personnel à tour de bras. Ainsi "Il" peut s'appliquer aussi bien à un homme qu'à l'autre. "Ils", lui, peut s'appliquer aux deux hommes tout comme à un couple mixte. Le sens de l'histoire prend alors une tournure complètement différente, mais plausible, et c'est au lecteur de découvrir le sens de l'histoire, remettant continuellement au cause le bon ordre des évènements. Lorsque l'auteure ne travaille pas avec les pronoms personnels elle se plait à utiliser des sujets tout aussi peu précis, par exemple "Le voyageur" ou "l'homme qui marche". A noter la connotation temporelle de ces locutions : Beaucoup d'appellation, surtout désignant les hommes, concernent le temps qui passent. Ceci permet à l'auteure de s'éloigner du temps présent pour remonter le passé de cette femme, peut être devenue folle. Les échanges entre les personnages sont évidemment décrits brièvement, ils ne s'expriment qu'à travers quelques gestes, parfois justes esquissés, quelques mots lancés à voix basse. Leurs expressions sont plus significatives, avec des yeux levés lentement vers l'horizon, des regards appuyés. Il en ressort une certaine sérénité.
Un élément essentiel du roman est le lieu de l'action. S. Thala, que l'on peut rapprocher du mot Thalassa, est une station balnéaire. Dans la description qui en est faite le lecteur peut facilement faire une analogie avec Cabourg, ou une station normande. Un tel décor avait déjà été utilisé par Duras dans Le ravissement de Lol V. Stein. La plage, la mer, devient plus qu'un lieu physique, elles deviennent un personnage à part entière au fil de l'avancé de l'histoire. La relation entre la femme et la mer devient plus prégnante, le regard qu'elle y porte est plus chargé de sens.
En définitive ce roman, assez étrange, nous rappelle que Marguerite Duras avait la capacité d'écrire une histoire sans action, avec juste des sentiments, des relations entre personnages. Certains y verront un tour de force. Peut-être. Toujours est-il que l'on a parfois le sentiment de lire de la poésie sous forme de prose, et qu'il n'y a rien d'autres à comprendre que ça.
Extraits
Ciel et mer
Le jour baisse. La mer, le ciel, occupent l'espace. Au loin, la mer est déjà oxydée par la lumière obscure, de même que le ciel. (page 10)
La montée de la lumière
"On entend :
- Elle va rester ainsi jusqu'à l'apparition de la lumière.
Ils se taisent. La lumière augmente de façon indiscernable tant son mouvement est lent. De même la séparation des sables et des eaux.
La lumière monte, ouvre, montre l'espace qui grandit.
L'incendie, à son tour, se décolore comme le ciel, la mer.
Le voyageur demande :
- Qu'arrivera-t-il lorsque la lumière sera là ?
On entend :
- Pendant un instant elle sera aveuglée. Puis elle recommencera à me voir. A distinguer le sable de la mer, puis, la mer de la lumière, puis son corps de mon corps. Après elle séparera le froid de la nuit et elle me le donnera. Après seulement elle entendra le bruit vous savez... ? de Dieu ? ... ce truc ?
Ils se taisent. Ils surveillent la progression de l'aurore extérieure."
Voir aussi :